La cérémonie s’est tenue a l’église Saint-Germain-des-Prés a Paris le vendredi 12 juin à 10h30.

Livret de la messe
Textes et témoignages
Anne-Bénédicte Brandenburg
Mesdames, Messieurs, Chers amis,
Merci de nous entourer ce matin pour rendre hommage à Alain décédé le 6 juin d’un arrêt cardiaque. Nous sommes très touchés par votre présence.
Avec Thibaut et Brice, et tous les membres de notre famille aujourd’hui présents, nous associons très fort nos enfants retenus sur d’autres continents en raison de la crise sanitaire mais qui vont pouvoir suivre cette cérémonie en direct grâce à Internet :
– Armance et Jon, et nos petits-enfants Fiona et Gaspard à Montréal,
– Jean-Tristan et Karen à Johannesburg.
Notre famille aura également, durant cette célébration, une pensée plus particulière pour Bruno, frère ainé d’Alain, décédé le 13 mars dernier à Marseille.
Mais aussi pour notre nouvelle petite-fille, Diane, qu’Alain attendait avec tant d’impatience, et qui est, pour Brice et Salomé, ses parents, et pour nous tous, la source d’une grande joie.
Nous tenons à remercier Monseigneur de Sinéty et Monseigneur de Germigny d’avoir accepté de célébrer cette cérémonie et toutes les équipes de la paroisse Saint-Germain-des prés de nous accueillir en ce lieu emblématique et symbolique que nous avons beaucoup fréquenté quand nous habitions rue du Pré-au-Clercs et qui a été, il y a quelques années, quand Monseigneur vous en étiez le curé, un sujet de travaux de recherche et d’écriture, qui nous a uni, Alain et moi, dans notre passion commune pour l’archéologie, l’histoire de l’art, de l’architecture et de la liturgie médiévale.
Merci à ceux qui l’ont accompagné ces derniers temps : Agnès, Catherine, Emmanuel ;
Merci à vous d’être là pour nous et pour Alain, merci de nous entourer de votre amitié et pour ceux qui y croient de votre prière. Merci de faire avec nous de ce moment, un temps d’hommage où la beauté et la convivialité, qui étaient certainement les deux plus grandes passions de mon époux, éclairent la route qui le mène aujourd’hui vers sa nouvelle demeure.
Armance Brandenburg, lu par Marie-Anne
Mon cher papa,
C’est le cœur déchiré, brisé, que je ne peux être là pour te dire adieu.
Je me créerai des rituels propres.
Tu m’as appris à en avoir la force.
Tu m’as appris le respect, l’excellence, l’intégrité.
Par dessus tout, tu m’as appris l’amour, inconditionnel.
Je me souviens de planchers qui craquent,
De livres dans les moindres recoins.
Je me souviens de visites à l’infini,
Jeunes, nous avons appris à apprécier la fraîcheur des églises italiennes.
Je me souviens de fêtes joyeuses,
Toute occasion méritait son champagne.
Je me souviens de ta porte toujours ouverte.
Papa, tu nous quittes mais tu me laisses un leg hors-norme. Immense.
Je te chérissais. Je te chérirai. Toujours.
Que je suis chanceuse que tu sois mon père.
Pierre Mérien
Bénédicte, Armance, Jean-Tristan, absents malgré eux mais bien présents par la pensée, Thibaut, Brice,
Vous avez toute notre amitié dans des circonstances, où, il est vrai, votre immense douleur ne se partagera, ne s’éteindra peut-être, que dans l’intimité du cercle qu’Alain avait su constituer entre vous. Pourtant, aujourd’hui, nous nous en sentons très proches, lui qui avait coutume, de son sourire attendri et malicieux du charmeur, d’une voix grave et sans appel de l’adoubeur, de nous assurer que « nous faisions partie de la famille ».
Sachez tous que nous fûmes particulièrement attachés à l’être que vous venez de perdre. Il tenait une place singulière dans notre entourage, autant par l’affection quasi-filiale que nous lui portions que par le respect inconditionnel qu’il nous inspirait.
A l’évidence, sa disparition laisse un grand vide. Mais ne nous quitterons jamais ces soirées où se condensèrent les avis et les sentiments les plus débridés, les plus passionnés, les plus percutants aussi. Tous nous étions réunis autour de la table de Bénédicte, ravis d’être là et impatients de nous assoir pour, à la fois, savourer et en découdre. Tous s’écoutaient du regard, chacun voulant secrètement se faire entendre auprès d’Alain. Seuls le néant, la banalité et l’indifférence n’avaient pas droit de cité. Puis, après avoir tutoyé les cimes, il valait mieux alors que nous rentrâmes à pied, l’esprit à sec, et, pour citer un célèbre poète, « à l’air pur, sous un ciel admirable ».
Bénédicte,
Tu frapperas à notre porte comme nous frapperons à la tienne et nous t’accompagnerons de notre parfaite fidélité pour renouveler ensemble ces moments denses, joyeux, bienveillants et toujours libres, bien que, jamais, nous ne pourrons prétendre reproduire ceux que le talent tout personnel, généreux et unique d’Alain leur insufflait.
En déposant chez chacun d’entre vous ce témoignage d’une sincère gratitude, nous avons la certitude que vous saurez mobiliser les forces nécessaires pour surmonter cette épreuve.
David Madec
Bénédicte et les enfants m’ont demandé de témoigner sur un aspect qui a profondément marqué le travail d’Alain, notamment à Cluny et à Ecouen. Il a toujours eu à cœur une générosité, celle qui définit les musées : se battre pour accueillir tout le monde, pour que le plaisir qu’offrent les œuvres d’art, celui de la connaissance soir partagé par le plus grand nombre. C’est lui qui m’a recruté à Ecouen et donné ma chance. Très impressionné par lui, je le vois encore lever ses grandes lunettes sur son crâne puis mâchouiller une branche de ses lunettes en m’exhortant à conquérir davantage de public, à faire venir plus de visiteurs. Il me disait d’aller plus loin, si je ne réussissais pas de recommencer ; et si je réussissais, d’aller plus loin encore ! Cette rage de partager était le signe de sa très grande générosité. Ce sentiment, il l’avait pour le public ; et au-delà de sa très grande exigence, il avait cette générosité avec son équipe. Les nombreux témoignages de ces derniers jours, votre présence à tous aujourd’hui en sont le signe et la reconnaissance. Cette générosité dépassait le simple monde du travail, Alain nous incluait dans sa vie, celle de famille. Combien de diners avons-nous passer autour de sa table ? Je repense à ceux organisés au moment des fêtes de Noël.Le partage et la générosité, au même titre que la connaissance accumulée, forment une part de son héritage qu’il transmet à tous ceux qui l’ont cotoyé.
Boris Grebille
Cher Alain,
Nous voilà dans ce moment étrange des adieux, où, face à la mort, nous nous remémorons nos vies. Je vois vos yeux vifs et amusés me scruter avec bienveillance et me questionner, avant même que je n’ai commencé, pour me demander si je suis bien certain que ce que je vais dire sera à la hauteur de l’exigence que vous placez en moi comme en tous vos amis.
Cher Alain, si j’ai avec vous le souvenir de discussions et de controverses, de déjeuners et de dîners épiques, de visites commentées, où toujours la convivialité se nourrissait d’échanges et de débats fructueux, dans lesquels des œuvres que l’on croyait connaître surgissaient différentes sous l’éclairage de vos recherches, ce qui restera pour moi votre marque de fabrique, quelques soient les sujets, c’est votre bienveillante exigence qui nous obligeait à toujours pousser plus loin nos questionnements et à ne pas nous laisser aller aux fausses évidences.
Pendant les deux années où nous avons travaillé ensemble à l’IESA, vous n’avez cessé de me répéter que l’excellence ne demandait pas plus d’efforts que la médiocrité. Pendant les plus de vingt ans où j’ai eu cette chance inouïe de bénéficier de votre conversation et de votre amitié, vous n’avez cessé de me pousser à être toujours plus curieux, à ne jamais enfermer les œuvres et les personnes dans des ensembles ou discours préétablis, mais à toujours laisser les détails des premières et les actes et les paroles des secondes, me questionner à frais nouveaux.
Pour vous, l’histoire des arts était l’histoire des œuvres, des artistes, des collectionneurs et des commanditaires. Loin d’être une matière théorique, une histoire des styles et de leurs évolutions, appuyée sur des textes et des ensembles définis, elle était profondément incarnée, vivante. Vous m’avez toujours obligé à remettre l’homme, et donc l’œuvre, dans sa singularité, au centre de nos questionnements, pour ne jamais m’interdire une parole libre si elle était appuyée sur un raisonnement rigoureux.
Ce faisant, vous m’avez transmis comme à tous ceux que vous avez côtoyé, avec l’élégance et le charme de votre bienveillance, cet humanisme libre et curieux qui vous a permis d’unifier votre vie si riche et si féconde. C’était votre pédagogie, nous transformer par la pratique du dialogue et du questionnement. Je mesure aujourd’hui la chance qui a été la mienne, qui a été la nôtre, de bénéficier de cette passion, qu’était la vôtre, de nous communiquer votre infinie curiosité en nous forçant à ouvrir toujours plus notre intelligence.
Mais je sens, Cher Alain, un petit plissement de sourcils, peut-être même avez-vous relevé vos lunettes, signes imperceptibles que vous attendez autre chose. Je vous entends me souffler que là n’est pas finalement le plus important de votre vie, même si, aucunement modeste, vous acceptez bien volontiers d’avoir été pour beaucoup d’entre nous un maître. « Pensez aux vivants, pensez à ma femme et à mes enfants, à mes petits-enfants, vous n’avez que trois minutes ! » me dites-vous. Bien évidemment, Cher Alain, puisque vous n’avez jamais dissocier les deux !
Chère Bénédicte, tu le sais bien, toi qui a toujours accompagné Alain dans son désir de créer des moments de convivialité même quand les sujets à traiter étaient des plus épineux. Avec Alain, vous avez formé un couple qui alliait l’art de la discussion et de la recherche, sur les sujets scientifiques qui vous réunissaient, à l’image de cette église, à l’art de créer et de faire vivre une convivialité toujours propice à l’épanouissement de la joie, de l’amitié et des personnes. Pierre en témoignera certainement comme moi, tant les déjeuners et les dîners que vous organisiez, à Paris comme à Beautheil, nous ont marqué et nous ont nourri ! Ces repas, auxquels participaient tous vos enfants quand ils étaient présents ou sa sœur Pona, nous entrainaient dans une véritable dynamique familiale qui m’a toujours paru être la parfaite illustration de ce qu’est la fécondité chrétienne qui tout à la fois unis les personnes et les portent dans leurs propres développements. Vous y avez aussi toujours accueilli nos enfants avec joie et simplicité, même quand ils étaient turbulents et courraient sans arrêt autours de la table, faisant de ceux-ci de véritables scènes de genre ! Quand nous nous sommes réunis jeudi soir pour préparer cette célébration, j’ai eu l’impression de revivre un de ces moments et je me suis dit avec plaisir qu’Alain ne nous avait pas vraiment quitté et qu’il continuait, avec toi, d’entretenir cette convivialité créatrice et émancipatrice.
Car si je suis certain d’une chose, Cher Alain, pour en avoir parlé si souvent avec vous, c’est que vos enfants étaient le cœur de toutes vos préoccupations et que vous en étiez, à juste titre, très fiers. Certes, vous auriez peut-être aimé qu’ils vous ressemblent plus, qu’ils se passionnent pour les mêmes sujets, qu’ils prennent votre suite, mais aucun de ces désirs ne pouvaient rivaliser avec le bonheur de les voir se construire, s’émanciper, s’affirmer et devenir les jeunes gens qu’ils avaient choisi d’être.
Chers Jean Tristan, Thibaut et Brice, vous qui venez de vivre ou vous préparez à vivre un de ces heureux événements de la vie que sont une naissance ou un mariage, retrouvez au fond de vous-même ce regard bienveillant et heureux de votre père qui s’y est sculpté à vie. C’est un regard sans tristesse, un regard d’amour et de fierté pour ce que vous êtes devenus librement. Une lumière qui, comme celles qu’il a tant décrit, enveloppe, sculpte et fait vivre. Imaginez sa joie, j’imagine sans mal pour ma part la discussion que nous aurions, une coupe à la main, et les propos fiers et chaleureux dont il vous gratifierait.
Chère Armance, je me souviens parfaitement des discussions que j’ai eu, avec ton père, à la naissance de Fiona, de ses larmes de joie, de son désir d’écrire pour elle. Sa première petite fille ce n’était pas rien, elle ouvrait, après vous, une nouvelle génération à aimer et à accompagner, un nouveau monde auquel transmettre ses passions.
Alain, vous avez comme toujours raison. Rendre hommage à votre épouse et à vos enfants, rendre hommage aux vivants, c’est en effet rendre hommage à ce que vous étiez au plus profond de vous-mêmes. A votre bonheur de vivre, à votre passion d’aimer, à votre incroyable et inépuisable besoin de transmettre.
Cher Alain, merci donc de rester pour nous ce que vous avez toujours été !
Jean-Michel Leniaud
Mon cher Alain, ou plutôt, Alain, puisqu’il n’existait pas de protocole entre nous, je m’adresse à toi car tu nous entends, je le sais, tu te trouves au milieu de ta famille et parmi nous.
Tu nous entends car tu es entré dans la contemplation de la vraie lumière. Toi qui a écrit un livre pour expliquer que l’essentiel dessein du gothique a été de rechercher la lumière par le vitrail et par l’architecture, te voici parvenu, au terme de ta vie terrestre, dans la proximité de ce que tu avais entrevu, il y a bientôt trente ans, dans ton Histoire de l’architecture française. Cette lumière, c’est celle dont Suger parle dans les vers fameux qu’il a fait écrire, en ce lieu qui t’était familier, au-dessus de l’entrée de la basilique des rois morts, ceux que tu as étudiés dans ton premier livre sur les funérailles royales : hac luce visa. En présence de la lumière, ajoute l’abbé de Saint-Denis, mens hebes, l’esprit affaibli se ranime.
Toi qui a étudié les sculptures de tant de portails gothiques, tu connaissais ce dont Suger parlait lorsqu’il inscrivait aussi au portail de son abbatiale, que le Christ est la vraie porte. Car le vrai, premier attribut de la lumière, tu l’as recherché toute ta vie de savant, dans tes travaux, dans les débats, dans les combats. Tu savais que la science ne se constitue pas de la poussière accumulée d’un savoir, corrompu à peine inventé, mais qu’elle s’alimente de cet humanisme qui unit l’homme à son créateur.
La lumière, c’est aussi la beauté : celle des œuvres d’art, les materialia dont parle Suger, celles que tu as étudiées, que tu as fait entrer dans le patrimoine collectif, que tu as mises en scène dans des expositions et dans tes chers musées : Cluny et Écouen. Elles restent, ces œuvres, « De pierre, d’or et de feu », pour reprendre le titre flamboyant d’un autre de tes livres, comme l’archipel qui subsisterait du continent effondré qu’est l’histoire terrestre, elles restent la trace du travail de l’homme quand il veut dépasser sa condition humaine. En étudiant la création au Moyen Âge, « Le sacre de l’artiste », tu as voulu montrer cet effort continu d’une société où les générations se renouvelaient tous les vingt ans au rythme vital du jaillissement d’innovations incessantes.
Cette générosité que tu as prêtée au Moyen Âge aura été la tienne. Si le bon est le troisième attribut de la lumière, tu l’a prouvé par ton attitude, je dirais fraternelle, tant tu m’as paru te comporter en grand frère avec moi, par tes conseils et par ton soutien. Avec moi, mais avec tant d’autres : que de temps n’as-tu pas consacré au travail associatif sans garantie de retour, aux étudiants en publiant leurs travaux, à tes collègues lorsqu’ils se mettaient en danger ! Tu cultivais l’amitié.
Généreux, tu as mené la vie à grandes guides, aux limites de ton énergie. Tu refusais d’entrer dans les intrigues médiocres dans lesquelles les qualités d’un groupe professionnel se soustraient, quand s’additionnent leurs défauts. Tu n’aimais pas les cancans, les médisances, encore moins les calomnies. Tu t’intéressais aux seules grandes causes et aux grands sujets et tu prodiguais autour de toi des conseils en ce sens : ne travailler que sur les grands sujets, Notre-Dame, la cathédrale, Saint-Germain-des-prés, avec Bénédicte ! Tu as aimé la vie et le travail, tu as été un « grand vivant ».
Bénédicte et les enfants, Alain, t’ont apporté beaucoup mais ils ont eu la chance de vivre auprès de toi. Cet échange réciproque ne s’interrompt pas avec ton départ. Ce n’est pas seulement par le souvenir de ta personne et par tes œuvres que tu restes présent parmi eux et parmi nous. Tu fais partie de ceux dont Suger, encore, souhaite : « Ut eant per lumina vera, ad verum lumen ». « Qu’ils parviennent par le moyen des lumières vraies à la vraie lumière. » De ce voyage, Alain, nous sommes venus ce matin, ici, à Saint-Germain des prés, pour être les témoins.
J.-M. L.